REVUE DE LA LITTÉRATURE

par Bernard FLEURY

Pierre Mayer, MD; Raphaël Heinzer, MD ; and Gilles Lavigne, DMD, PhD.

Sleep Bruxism in Respiratory Medicine Practice

CHEST 2016 ; 149(1) :262-271

Le bruxisme du sommeil (BS) est une activité motrice involontaire du trijumeau caractérisée par une contraction cyclique et répétitive des masséters occasionnant des grincements des dents ou des serrements des mâchoires. On le quantifie durant le sommeil en comptabilisant l’activité musculaire masticatoire rythmique  (AMMR) sur l’électromyogramme (EMG) des masséters. Les épisodes de AMMR sont soient phasiques (plus de 3 bouffées EMG durant 0,25 à 2 sec chacune), soient toniques (contraction soutenue pendant plus de 2 secondes), ou un mixte des deux. A noter que si tous les sujets bruxeurs ont des AMMR tous ne grincent pas des dents.

La prévalence du BS décroit avec l’âge. Présent chez 20 à 14% des enfants, 8 à 12% des adolescents et 3 à 5% des adultes. S’il est présent chez l’enfant, il peut persister à l’âge adulte. Pour la majorité des sujets se succéderont au cours de son évolution, des périodes calmes et des périodes d’exacerbation.

Les causes du BS sont encore inconnues. Des facteurs de risque ont été identifiés tels l’anxiété et le stress, la réactivité autonomique cardiaque et respiratoire durant de la veille et le sommeil et enfin les rythmes circadien et ultra circadien (alternance sommeil paradoxal/sommeil lent). La liste des neurotransmetteurs potentiellement impliqués dans la genèse du BS est longue mais non spécifique car la plupart sont également impliqués dans des désordres du comportement, de l’humeur, de la vigilance ou du sommeil. L’association à un gène lié aux récepteurs à la sérotonine (HTR2A C) a été évoquée mais doit être confirmée. Un possible terrain familial peut être présent. Un tiers au moins  des patients a  un membre de sa famille bruxeur. Mais là encore, il faut être prudent, car les facteurs environnementaux ont une grande influence la survenue du BS.

Le déclencheur de l’AMMR n’est pas connu mais il survient plutôt au cours des périodes de sommeil dans lesquelles prédomine une activation cardiaque sympathique. Les bouffées EMG lors des épisodes de AMMR peuvent y être associées temporellement, dans 50 à 80 % des cas, à un microéveil (éveil bref de moins de 15 secondes). Ces microéveils  sont physiologiques et surviennent  cycliquement, mais peuvent également accompagner une apnée du sommeil. Ils se matérialisent par une accélération de l’activité électro-encéphalographique et une bouffée d’activité musculaire au niveau des muscles faciaux et du génioglosse.  Cependant, le microéveil ne peut expliquer par lui-même la bouffée d’activité EMG associée au bruxisme. On peut évoquer plutôt, une réactivité exagérée au microéveil de l’individu bruxeur comparable à un état d’hyper éveil agissant comme un déclencheur des AMMR.

Comment peut-on diagnostiquer le BS ? Les critères cliniques à retenir sont au nombre de trois. Le premier est l’existence de  bruits réguliers et fréquents de grincements de dents durant le sommeil. Le  second est composé d’un ou de plusieurs  des signes suivants : usure dentaire, douleurs ou fatigue du muscle masséter, douleurs temporales ou blocage de l’articulation temporo-mandibulaire (ATM) ou céphalées matinales. Le troisième est en fait l’absence d’une autre explication à cette activité anormale des masséters tel qu'un trouble du sommeil, une maladie neurologique, la prise de médicaments ou l’usage de stupéfiants.

Bien sûr, le diagnostic de certitude repose sur l’enregistrement EMG des masséters couplé à un enregistrement audio et vidéo au cours d’une polysomnographie (PSG). La PSG a également pour intérêt de rechercher un trouble respiratoire du sommeil ou un trouble propre du sommeil (comportements anormaux en sommeil paradoxal, épilepsie, claquement de dents, myoclonus oro-facial) co-morbidité ou diagnostic différentiel du BS.

Mais ces enregistrements ne sont recommandés qu’en présence d’un BS sévère ou de la suspicion clinique d’un trouble neurologique, potentiel diagnostic différentiel du BS. Dans la majorité des cas la clinique suffit pour poser le diagnostic et discuter une stratégie thérapeutique.

En terme de co-morbidités, une association BS et Syndrome d’Apnées Obstructives du Sommeil (SAOS) a été évoquée. Cette association semble faible car 25% des AMMR survenant chez un patient bruxeur et apnéique sont indépendantes des micro-éveils terminant l’apnée. Cependant, quelques rares études ont rapporté une diminution du BS lorsque la SAOS  est traité par Pression Positive chez l’adulte, par Orthèse d’Avancée Mandibulaire chez l’adolescent ou par amygdalectomie chez l’enfant. De même, il n’a pas été démontré de lien entre BS et pathologie de l’ATM malgré des symptômes parfois communs comme les céphalées. A ce niveau, il est intéressant de noter que les céphalées des deux troubles n’ont généralement pas la même temporalité, présente généralement 1 heure après le réveil dans le BS et plutôt en milieu ou fin de journée pour la pathologie articulaire. De même, fréquent mais sans lien de causalité évident, un reflux gastro-oesophagien est retrouvé chez 25% des BS, l’acidité aggravant les dommages dentaires liés au BS.

Le traitement du BS primaire associe une amélioration du mode de vie, un respect de l’hygiène de sommeil (respecter sa typologie couche tôt-couche tard et le temps de sommeil récupérateur), une thérapie comportementale et la prescription éventuelle (sans que leur efficacité ait été démontrée) d’un relaxant musculaire.

Pour traiter les formes les plus sévères, différentes molécules sont présentées par Gilles Lavigne et ses co-auteurs. Cependant, ils insistent sur la fragilité des arguments justifiant leur prescription et sur la nécessité persistante de mener des études randomisées pour évaluer le bénéfice de leur utilisation. Le Clonazepam pourrait être utilisé pendant de courtes périodes (quelques nuits par semaine pendant deux à trois semaines) à faibles doses ou la Clonidine également à doses faibles en tenant compte du risque d’hypotension. En cas de BS intense et sévère, l’injection de toxine botulinique peut être envisagée car si elle ne réduit pas la fréquence des AMMR   elle réduit l’intensité des contractions.

Les approches incluant le biofeedback durant le sommeil (stimulation électrique ou vibratoires déclenchées par les bouffées EMG) ou durant la journée n’ont pas fait aujourd’hui la preuve de leur efficacité.

Empiriquement, les dentistes proposent souvent une gouttière occlusale. Si elle ne réduit pas la fréquence des AMMR elle peut limiter les dommages mécaniques occasionnés aux dents par la pression et le frottement. Cette gouttière est contre-indiquée en cas de ronflement ou de SAOS associé au BS car elle entraîne un certain degré d’ouverture buccale responsable d’une étroitesse pharyngée durant le sommeil. Dans le contexte du BS primaire l’OAM n’amène pas un avantage thérapeutique par rapport à une simple gouttière, mais elle semble réduire les céphalées associées au BS chez l’adulte et l’adolescent. Elle est bien sur le traitement de choix en présence de l’association au BS d’un SAOS et/ou d’un ronflement.

En résumé, de physiopathologie encore imprécise, le BS est une pathologie fréquente, présente dès l’enfance et dont la prévalence décroit avec l’âge. Le plus souvent son diagnostic est clinique, les enregistrements étant réservés aux BS sévères, aux BS associés à une co-morbidité respiratoire du sommeil ou bien si un diagnostic différentiel ne peut être éliminé cliniquement. En dehors de mesures simples d’hygiène de vie et de sommeil qui doivent être proposées systématiquement, le traitement médicamenteux doit encore être standardisé et la toxine botulinique réservée à des cas très intenses et douloureux. L’OAM doit être préférée à la gouttière occlusale en cas de ronflement ou de SAOS associé au BS.

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